Filmer la carte imaginaire


J’aime les cartes. Vous l’aurez sans doute déjà deviné. Cette puissance imaginative que l’on peut inclure dans un simple morceau de papier - à l’origine élaboré par des scientifiques pour mieux appréhender le monde dans lequel ils vivaient. Disons que la fonction de ces dernières dans les univers imaginaires est sensiblement la même, à quelques exceptions près.

Parler des cartes et de l’amour que je leur porte en un seul article sur ce modeste blog serait clairement de l’hérésie. C’est pourquoi j’ai décidé ici de me recentrer un peu sur un type de cartes, ou plus précisément une utilisation de celle-ci particulière, à savoir la carte dans les œuvres cinématographiques.

Je vais ici utiliser un corpus de long-métrages qui me semblent représentatifs de l’utilisation de la carte imaginaire dans le cinéma.

Pour les œuvres de Fantasy et fantastique :

- La carte de la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours de Peter Jackson (2002), lorsque Faramir et son officier font le point sur la situation de l’Ithilien.



- La carte d’Olydri dans Noob : Le Film par Fabien Fournier (2015), lorsque les équipes se séparent et leur itinéraire est indiqué. (timecode : 22m34s)



- La Carte du Maraudeur dans Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban (2004) et ses multiples utilisations utilisées par Harry Potter durant le film.



- La carte de Westeros et d’Essos dans le générique de la série Game of Thrones (2011).



Pour les œuvres de science-fiction, malheureusement la diversité en pâtit mais les utilisations sont différentes :

- La carte galactique dans Star Wars : Le Réveil de la Force par J.J. Abraham (2015) projetée par BB-8 devant Han, Rey, Finn et Chewbacca dans le Faucon Millenium.



- La carte galactique dans Star Wars : Episode II : L’attaque des clones par George Lucas (2002) lorsqu’Obi-Wan vient demander à Yoda et ses élèves l’emplacement de la planète Kamino.


- Les plans de l’Etoile Noire dans Star Wars : Episode IV : Un Nouvel Espoir par George Lucas (1977) lors du briefing des escadrons rebelles avant la Bataille de Yavin.



La carte comme retranscription d'un univers

La carte est, dans le cinéma comme dans la littérature ou le jeu vidéo (attention, cas particulier), sans doute le meilleur moyen pour le public de situer l’action dans l’univers du film. Si on retrouve une carte de la Terre du Milieu dans le coffret de la version longue du Seigneur des Anneaux, retraçant l’itinéraire des personnages, il est tout de même plutôt rare de croiser des plans de lieux ou de régions sur le grand écran. Le cinéma répond à des règles plutôt simples : il faut montrer et ne pas dire, c’est une règle de base. Et si raconter par le dialogue est une erreur, montrer de l’écrit est encore plus grave. Il n’y a guère que dans l’ouverture (cf les introductions de la saga Star Wars) et le générique des films qu’on sollicite le spectateur pour qu’il lise l’écran. Lire est une action qui demande un effort tandis que la montrer est la manière la plus claire de la faire comprendre, en plus d’être universelle (ne dépendant pas de la langue du spectateur).
C’est pourquoi nous voyons aussi peu de cartes dans le cinéma. Une carte est remplie d’annotations, a des contours qu’il faut discerner et – surtout – demande au spectateur de changer de point de vue (passant d’une immersion dans une scène particulière à une vision globale de l’univers du film). Cependant, ce que la carte apporte, c’est une sorte de témoignage. Le témoignage de l’existence d’un univers de fiction autours du film et si tout le monde n’en sera pas réceptif, une certaine part du public sera sensible à cet appel visuel.

"Le cinéma répond à des règles plutôt simples : il faut montrer et ne pas dire, c’est une règle de base. Et si raconter est une erreur, montrer de l’écrit est encore plus grave."

Et c’est exactement en ça que sert la carte montrée à l’écran. Le meilleur exemple de cette utilisation est dans le générique de la série Game of Thrones. Ici, tout est réuni : le placement au début du film, évitant au spectateur de sortir d’une scène pour aborder une vision plus globale mais aussi dans le but d’insister sur le propos de la série. Cette dernière parle d’intrigues politiques : d’alliances, de trahisons, de successions au trône… Montrer une carte a d’autant plus de sens puisqu’elle met en image des relations de frontières et place directement son intrigue à l’échelle d’un continent entier.

Il en va de même pour la carte de Faramir dans Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours. L’intrigue glisse alors progressivement d’une aventure entre le merveilleux et l’épique vers un enjeu de frontières entre le Royaume du Gondor contre les Forces du Mordor. La carte est ici bienvenue afin de faire le point du la situation dans laquelle sont projetés les héros. Au lieu de tout expliquer dans une scène de dialogue en champ – contrechamp, montrer la carte illustre les propos du Rôdeur, en plus d’alpaguer la frange du public connaissant l’univers de J.R.R. Tolkien et sa cartographie.

"Bien qu’on assiste à une cassure de point de vue mal maîtrisée dans la scène, cela permet de cerner cette utilisation de la carte comme vecteur de l’histoire."

En effet, la carte peut être une excellente illustration. D’un univers imaginaire, certes, mais également d’une intrigue. Là encore le but est de montrer où se déroule l’intrigue mais surtout de faire un point sur les déplacements des personnages. C’est ce qu’a assez maladroitement représenté Fabien Fournier dans Noob : Le film en déplaçant les avatars des nombreux personnages sur la carte d’Olydri. Bien qu’on assiste à une cassure de point de vue mal maîtrisée dans la scène, cela permet de cerner cette utilisation de la carte comme vecteur de l’histoire. Là encore il s’agit de faire un bilan, de résumer une situation le plus simplement possible. L’animation des avatars sur une région d’un point de vue dit zénithal est sans doute la manière la plus instinctive de représenter le voyage… mais également la plus bancale.

Cependant, pour en revenir sur la carte de Westeros et d’Essos dans la série Game of Thrones, le vecteur n’est plus simplement ici le déplacement des personnages mais plus généralement le mouvement de l’intrigue. Vous n’êtes pas sans savoir que le générique de cette série médiévale-fantastique change d’une saison à l’autre et présente de nouveaux morceaux de la carte jusque là jamais présentés, tandis que certains morceaux sont retirés si l’action de la série ne s’y déroule plus. C’est un procédé très intéressant d’utilisation de la carte car au fur et à mesure de l’avancement de la série, c’est la mise en contexte avant même le début de l'épisode qui définit le mouvement de l'intrigue.


"Le vecteur n’est plus simplement ici le déplacement des personnages mais plus généralement le mouvement de l’intrigue"

La carte comme métaphore du monde

La nature des cartes montrées à l’écran sont très importantes et cela dépend bien évidement dans quel univers prend place la fiction. Dans un univers de fantasy, on trouvera plus facilement une carte sur parchemin jauni tandis que dans la science fiction, le point d’honneur sera fait, surtout de nos jours, à la carte en trois dimensions. On pourrait disserter des heures sur l’utilité de ce que j’appelle les « cartes – Futuroscope » avec des hologrammes, la possibilité de se balader entre les planètes, des couleurs partout, mais dont le côté purement pratique d’une fichue carte est totalement délaissé, mais je souhaitais aborder une autre vision que j’ai de ces cartes futuristes. Il s’agit d’à quel point leur nature représente l’univers dans lequel elles prennent place.


"Obi-Wan semble pourtant pouvoir se repérer à travers tous ces points blancs semblant identiques, cela ajoute [...] à l’impression d’avoir affaire à un univers total."

L’exemple le plus probant est sans doute la « carte – Futuroscope » d’Obi-Wan dans Star Wars : Episode II : L’Attaque des Clones. Cette carte-hologramme galactique en trois dimensions projette un amas d’étoiles informe dans la totalité de la pièce. La composition du plan est très intéressante : les étoiles sont présentes partout dans le cadre et nous n’avons à aucun moment un plan d’ensemble de cette galaxie. Obi-Wan semble pourtant pouvoir se repérer à travers tous ces points blancs semblant identiques, cela ajoute non seulement à l’impression d’avoir affaire à un univers total (puisqu’il semble habitué à ce qui ne l’est pas pour nous) mais la présence des Padawans donne au spectateur un regard d'enfants, comment s'ils regardaient le ciel étoilé avec émerveillement, autant que nous, à leur âge, devant une saga épique de SF telle que Star Wars, caractérisée ici par cette carte. Le fait que cette carte dépasse les bordures du cadre est très significatif : la galaxie de Star Wars est tellement immense qu’il est impossible de la représenter en un bloc. Cela va parfaitement avec la profusion d’histoires, de légendes et d’aventures qu’offre l’univers de Star Wars à travers l’univers étendu par exemple. Cela fait écho à une même scène dans l’épisode I où le jeune Anakin demande à Qui-Gon si toutes les étoiles qu’il voit dans le ciel sont habitées. La présence d’étoiles débordant l’écran symbolise leur profusion, et celle des enfants montre un émerveillement contrebalancé par un adulte qui connaît son univers.

Une carte représentant dans sa nature-même l’univers dans lequel il prend place est une chose, mais lorsqu’un univers ou une histoire agit sur sa propre carte, ça en est une autre. Ce genre de carte va plus loin dans la représentation d’une intrigue car au lieu de représenter un contexte, comme sa fonction laisse à le penser, elle représente ici une évolution en temps réel dans l’histoire. La carte de Game of Thrones ne rentre pas dans cette catégorie car elle reste trop ancrée dans la représentation de contexte de base puisque le générique sous-entend une situation initiale.
Je parlerai plutôt ici de l’exemple de la célèbre Carte du Maraudeur de la saga Harry Potter. Il s’agit d’une carte magique suivant les pas de différents individus se déplaçant dans l’enceinte de Poudlard. Il s’agit d’un objet cinématographique très intéressant car créateur de suspens, telle que l’a décrit Alfred Hitchcock. L’enjeu n’est pas de surprendre pour faire peur mais de rendre spectateur au courant de la menace et de la voir progresser, ce qui est d’autant plus effrayant. L’utilisation de la carte est ici proche de celle qui peut être faite dans le jeu vidéo mais dans un impératif pour le joueur de situer ses alliés et ennemis dans l’environnement. Au cinéma cette nécessité n’est pas présente mais lorsqu’elle y est, elle permet de créer une tension très puissante dans une simple scène.

"L’enjeu n’est pas de surprendre pour faire peur mais de rendre spectateur au courant de la menace et de la voir progresser, ce qui est d’autant plus effrayant"

La carte galactique projetée par BB-8 dans Star Wars : Le Réveil de la Force est également révélatrice de cette évolution de l’univers en temps réel puisqu’elle est non seulement clé de l’intrigue mais aussi complétée durant le film. Le but est de retrouver un personnage sur une planète inconnue, tout l’enjeu du film est de parcourir l’univers afin d’en avoir une connaissance plus approfondietout comme le spectateur. Les héros commencent avec une connaissance partielle de leur monde, tout comme le public, et complètent leur quête grâce à leur voyage initiatique, symbolisé ici par le morceau de carte manquante. L’évolution des héros se retranscrit alors matériellement sur la carte de l’univers.

La carte comme objet scénaristique


Comme nous l’avons vu avec l’exemple du Réveil de la Force, la carte peut être - en plus d’une bête représentation de l’univers - une interprétation de ce dernier mais aussi un objet scénaristique à part entière. Un tel objet scénaristique que des sagas ont même réalisé un film entier basé sur cette idée. Je parle bien ici de Rogue One : A Star Wars Story mais plus précisément de Star Wars IV : Un Nouvel Espoir. Les plans de l’Etoile Noire ne sont pas une carte à proprement parler car n’a pas vocation à représenter l’univers de Star Wars. Cependant, j’en prends compte car il s’agit bel et bien pour moi d’une représentation d’un lieu imaginaire sur un support dédié.

Les plans de l’Étoile Noire ont pour particularité d’être l’objet convoité de deux films de la saga Star Wars. Ils sont représentés de manière très abstraite car étant des plans purement techniques et destinés à des ingénieurs, le but est là aussi de rendre les héros de l’histoire familiers avec leur univers car sachant parfaitement s’en servir. Ça n’est pas tant la représentation faite de cette carte qui est importante ici car elle rejoint finalement celle de Star Wars, épisode II, le côté spectaculaire en moins. Sa représentation dans le plan n’est même pas particulièrement impressionnante : un briefing avant une attaque, en bref faire le point sur la situation de l’intrigue. Ici, c’est sa fonction-même que j'essaie d'analyser : il s’agit de l’objet principal du film. Qu’un objet censé représenter l’univers d’une histoire, ou seulement une partie de ce dernier, soit le pivot central d’une intrigue est un réel parti-pris scénaristique. George Lucas dit ici implicitement que ce qui est important dans son histoire est son univers en donnant tant d’importance à une représentation graphique. C’est en partant à la recherche d’un morceau de carte de cet univers qu’on peut le découvrir et que les personnages se forment. Et s’il vous semble que cette analyse de l’importance de la carte se calque au septième opus de la saga, et bien… tirez-en vos propres conclusions.

"Qu’un objet censé représenter l’univers d’une histoire, ou seulement une partie de ce dernier, soit le pivot central d’une intrigue est un réel parti-pris scénaristique."


En tous cas, l’importance de la carte dans les différentes intrigues prenant place dans les univers imaginaires n’est plus à prouver. Cependant, le cinéma a su utiliser la carte sous différents aspects allant de la simple mise ou remise en contexte à un pur vecteur de l’histoire, soit en tant qu’indicateur pour le héros ou en tant qu’objet scénaristique lui-même. Montrer la carte imaginaire, au-delà du défi de mise en scène offert au réalisateur. En aidant le spectateur à s’orienter dans son intrigue par cette astuce visuelle, l’univers imaginaire représenté au travers de cette carte serait finalement l’un des liens si privilégiés qui existent entre le public et le créateur. Entre le visiteur de monde et son bâtisseur, ayant pour objectif de guider au mieux ceux qui viennent le découvrir.

Commentaires

  1. Un article très intéressant sur un élément qui revient régulièrement dans tes vidéos. On sens que cet article est, plus qu'une simple description, une véritable analyse cinématographique et on voit que tu maitrise bien ton sujet. Chapeau l'artiste ^^

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